Opinion

Opinion : Si la vague de solidarité s’arrête aux frontières, on risque le retour à la chicorée.

Bruxelles, le 9 avril 2020 – Avec une consommation de plus 7 milliard de tasses par an, on peut dire que la Belgique est accro à son p’tit café. Personnellement, j’estime que la journée n’a pas vraiment commencée, tant que je n’ai pas eu ma dose. Pourtant, l’accès à cette denrée exotique n’a pas toujours été une évidence. Pendant la guerre de 14-18, temps de pénurie, la population a dû se tourner vers des alternatives… comme la chicorée. Heureusement, la guerre finie, l’or noir fût rapidement de retour. La crise sanitaire actuelle, liée au COVID-19, a un impact grandissant sur les chaînes d’approvisionnement. A-t-elle le potentiel de nous remettre à la chicorée ?

À l’annonce des premières mesures de confinement, quantité de belges inquiets se sont rués sur  les rayons de supermarché pour faire le plein… comme en période de guerre. Le papier toilette en fût la première victime notable, au grand plaisir des médias sociaux. D’autres catégories de produits ont suivi: les produits d’hygiène, les conserves de toutes sortes, les farines pour s’occuper chez soi, les pâtes etc. Le secteur de la distribution et le pouvoir politique se sont empressés de rassurer la population et de répéter : il y a suffisamment de stock, le problème est de réussir à remplir les rayons aussi rapidement qu’ils ne se vident.

Cette ruée sur les supermarchés se traduit aussi dans les chiffres: une explosion des records de vente pour les supermarchés dans les jours qui suivaient l’annonce des mesures de confinement. À l’instar d’autres pays touchés par le même type de mesures, en Belgique, on remplit les armoires et on se met aux fourneaux... avec une nette préférence pour la pâtisserie.  Se pose alors une question: jusqu’à quand tiendra-t-on avec nos stocks?

Manque de citrons et oranges

En raison de la crise, les importations de fruits et légumes frais en provenance de certains pays stagnent. La fédération sectorielle Fresh Trade Belgium voit déjà les répercussions sur toutes une série de chaînes d’approvisionnement, dont les oranges et les citrons.

La Belgique se fournit typiquement en Espagne. Dans ce pays violemment touché par la crise, les travailleurs saisonniers n’ont plus accès aux plantations. Les fruits restent stockés dans leurs caisses, voire accrochés aux arbres.

Doit-on dès lors craindre une pénurie ? Une crise alimentaire en Belgique pourrait-elle se produire ? Pas immédiatement, on peut s’attendre à ce que la gamme de produits proposés soit moins variée. A terme, certaines chaînes d’approvisionnement pourraient être rompues.

Ne fermons pas les yeux sur cette réalité : la forte interdépendance alimentaire

Si aujourd’hui il n’y a pas lieu de parler de pénurie, il est important de tenir compte de la forte interdépendance alimentaire dans les réponses formulées face à la crise. Car sans commerce international, notre économie serait moins riche et nos assiettes moins diversifiées.

Comme le disait Dr. Martin L. King en 1967 : “Et avant de finir de déjeuner le matin, vous avez dépendu de plus de la moitié du monde. C'est la façon dont notre univers est structuré, c'est sa qualité interdépendante.”

Selon les chiffres de World Integrated Trade Solutions (WITS), en 2018, 17% des importations alimentaires en Belgique venaient des pays en développement, principalement l’Afrique sub-saharienne et l’Amérique latine. Cette nourriture est typiquement produite par des petites structures agricoles familiales et des travailleurs saisonniers, vivant pour la majeure partie dans une situation de pauvreté accrue.

La capacité de notre système économique à répondre à nos besoins et à faire face aux futurs chocs (sanitaires, économiques, climatiques) dépendra donc aussi de la résilience de nos chaînes d’approvisionnement – qu’elles soient courtes ou longues, locales ou internationales – et des personnes qui les maintiennent. Nos chaînes d’approvisionnement sont finalement aussi fortes que leur maillon le plus faible. Dès lors, il semble fondamental de mettre en place un plan de relance qui tienne compte des économies les plus fragilisées.

Il y a dix jours déjà, les Nations Unies s’inquiétaient des  conséquences combinées de la pandémie et de la récession globale et appelaient à débloquer un package historique de fonds – pour un montant de 2,5 trillion de dollars - pour soutenir les pays en développement. "Les retombées économiques du choc sont continues et de plus en plus difficiles à prévoir, mais il y a des indications claires que les choses vont empirer pour les économies en développement avant de s'améliorer", a déclaré le secrétaire général de la CNUCED, Mukhisa Kituyi.

Les droits humains au second plan ?

Pour les communautés de producteurs et de travailleurs des pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine, l’inquiétude est grandissante : elles subissent de plein fouet et sans filet de sécurité, les effets d’une crise économique majeure, tout en étant exposées à un haut risque de contamination et de mortalité.

Les risques d’infraction aux droits humains pourraient augmenter rapidement dans les usines et les milieux agricoles. Si l'emploi devient rare ou que le revenu baisse, le risque est plus grand que les travailleurs acceptent des conditions de travail abusives. D’autre part, le contrôle externe exercé par les journalistes, les chercheurs et les auditeurs diminuera également en raison des restrictions de mouvement. Depuis une dizaine de jours les exemples se multiplient.

En Asie, des entreprises de l’habillement abandonnent les travailleurs et travailleuses en pleine pandémie. Des dizaines de sociétés dont les marques sont mondialement connues, ainsi que leurs détaillants, ont annulé leurs carnets de commandes sans en assumer la responsabilité financière, même quand les vêtements avaient déjà été fabriqués. Des centaines de milliers de personnes se retrouvent à la rue, sans aucun filet de sécurité.

Dans les chaînes d’approvisionnement de produits alimentaires comme par exemple la filière de la banane, de nombreux travailleurs dans les plantations et dans les usines sont inquiets pour leur santé. La plupart des employeurs ne fournissent pas de matériel de protection et continuent de faire travailler les employés sans prendre de précautions.

Et mon café alors ?

A cause des restrictions de circulation, les producteurs de café Fairtrade du Pérou, de la Colombie, du Brésil sont préoccupés face à leur récolte qui doit prendre place entre avril et août. Une partie de la production de café pourrait être perdue si elle n'est pas récoltée au bon moment. Cela entraînerait une perte de revenu importante pour les producteurs.

De manière générale, les canaux de distribution sont ralentis en raison des procédures administratives, des restrictions pour déplacer le produit vers les sites dans lesquels il est traité et aussi face à la pénurie de conteneurs pour les expéditions freinant l’exportation des biens, tels que les bananes, le cacao, le sucre. Les producteurs sont inquiets de voir ces matières premières stockées dans des endroits non adéquats en attendant les conteneurs.

Jusqu’ici tout va bien

Mais comme on sait : l’important n’est pas la chute, mais l’atterrissage. Le Covid-19 nous touche tous, partout dans le monde. Alors plus que jamais, soyons unis et solidaires pour nos #foodheroes partout dans le monde. Plus que jamais, aider les autres, c’est s’aider soi-même. N’oublions donc pas de proposer des solutions qui fonctionnent pour le bien-être de tous. Au risque de se retrouver autour de la machine à … chicorée lors du retour à la normale.

Charles Snoeck
Civil Society Engagement
Fairtrade Belgium