Femmes de caractère, café corsé

Au coeur du commerce équitable, il y a l’attention portée aux populations les plus vulnérables, les producteurs et productrices du Sud. Elles subissent de plein fouet les effets négatifs de la fluctuation des prix sur le marché mondial.

Le Café et genre au Rwanda

Portrait d’Angélique Karekezi (Rwanda)

Malgré leur rôle important au sein des communautés caféicultrices, les femmes sont souvent les plus marginalisées. Fairtrade travaille chaque jour avec ses réseaux de producteurs1 à mettre fin à cette situation. Pour la journée mondiale du commerce équitable, nous avons décidé de vous faire rencontrer Angélique Karekezi qui, avec un produit pourtant aussi versatile que le café, renforce l’autonomie des femmes pour aller vers une société plus égalitaire.

Angélique Karekezi est directrice de Rwashoscco, une organisation rwandaise représentant 6 coopératives de producteur.trice.s de café, dont 5 sont certifiées Fairtrade. Il y a quelques années Rwashoscco a fait le choix de lancer un vaste projet visant à renforcer l’autonomisation des femmes productrices de café. Au départ de l’engagement d’Angélique, sa propre expérience. « J’ai grandi dans une société qui n’offrait pas les mêmes chances aux hommes qu’aux femmes », raconte-t-elle. Après ses secondaires, Angélique est partie étudier à l’Université de Nairobi d’où elle est sortie diplômée en sciences économiques. Son premier emploi2 après ses études fut d’emblée dans le monde du café. En 2008 elle intégra Rwashoscco en tant que responsable de la comptabilité et gravit rapidement les échelons pour devenir directrice, succédant à trois directeurs charismatiques…

Le choix, au sein de Rwashoscco, de renforcer la position des femmes dans la filière de café a été porté par un contexte à multiples facteurs : il y a eu l’engagement personnel d’Angélique, mais aussi de la structure en coopératives des organisations de producteurs, leur volonté d’être certifié Fairtrade et de respecter les standards qui y sont liés, couplés d’un contexte favorable au Rwanda où le gouvernement a légiféré et lancé des politiques en faveur de l’autonomisation des femmes3.

Angélique Karekezi : « traditionnellement, la plupart des activités agricoles dans mon pays sont portées par les femmes. Spécifiquement dans le secteur du café, ce sont les femmes qui prennent en charge la majorité de la force de travail dans la chaîne de production et sa valorisation (cultiver, récolter, trier le café). Paradoxalement, le café demeurait la propriété des hommes et par conséquent c’est à eux que revenaient les bénéfices et les revenus provenant du café ».

Concrètement, Angélique voulait mettre fin à cette injustice et donner les mêmes opportunités aux femmes qu’aux hommes. Elle voulait le faire en valorisant le travail des femmes, en les conscientisant sur leurs droits et à en avoir le contrôle. Changer les mentalités n’est pas chose aisée et la participation des hommes dans le processus de changement est indispensable.

Angélique Karekezi : « tous les efforts que l’on peut faire pour sensibiliser sur l’égalité des chances sont vains si l’on n’inclut pas les hommes dans le processus (...) nous devons simultanément travailler à changer les mentalités dominatrices des hommes, ce qui mènera à mon avis, à une authentique égalité. (…) mon expérience montre qu’engager tant les hommes que les femmes dans les coopératives est le seule voie vers l’autonomisation des femmes ».

Le fonctionnement démocratique des coopératives, condition indispensable pour avoir accès à la certification permet de créer un contexte favorable. En effet, les prises de décision ne peuvent se faire autrement qu’en ayant les voix de toutes et tous. La pratique de la décision partagée s’entend alors dans des sphères qui permettent aux femmes d’aller plus loin encore, d’avoir accès au capital, à la prise de décision et/ou s’engager davantage dans les coopératives.

Angelique’s finest : un café 100% féminin

Angélique a lancé ce projet pour donner un coup d’accélérateur à l’autonomisation des femmes engagées dans le secteur du café. Cette marque, qui n’est pas encore commercialisée en Belgique, est le fruit de son engagement et de son imagination, de son désir de faire savoir, en « marketant » le produit, qu’il est réellement possible de changer la donne en matière d’égalité de genre. Pour ce café 100% féminin de haute qualité, près de 200 femmes sont engagées, de la culture des baies au packaging, jusqu’à la mise en vente. Elles sont présentes dans toutes les étapes de la chaîne de production. Avant tout, ce produit est la manifestation concrète de la réalisation du rêve d’Angélique de voir des femmes rwandaises prendre le pouvoir dans le business du café !

Le café, lutter contre la chute des prix

Le café fait partie de notre quotidien. Des millions de tasses sont consommées tous les jours. Les spéculateurs et grandes entreprises en perçoivent les bénéfices, mais pas les producteurs de café. Depuis des mois, le prix du café fluctue autour de 1 dollar la livre (environ 454 grammes). Le café est aussi connu comme "l'or noir" en raison des marges élevées. Cependant, quelle est la marge du cultivateur de café? Aujourd’hui, elle est quasiment nulle. Avec les prix actuels du marché, les producteur.trice.s sont obligés de vendre leur café en dessous du prix de production.

Le prix historiquement bas du marché montre bien l’importance du Fairtrade. Le prix minimum du café issu du commerce équitable est de 1,40 dollar la livre. En outre, les coopératives d'agriculteurs perçoivent une prime de développement de 0,20 dollar la livre. Cette prime est largement investie dans la productivité et la qualité, mais aussi dans la professionnalisation de la coopérative ou dans des projets communautaires.

Nous appelons les entreprises à prendre leur responsabilité et à payer un prix supérieur au prix extrêmement bas du marché mondial. Et aux consommateurs: "savez ce que vous achetez" et choisissez un café qui couvre au moins les coûts de la production durable, afin que nous puissions contribuer à une vie meilleure pour les producteurs de café.

Nicolas Lambert, directeur de Fairtrade Belgium raconte sa rencontre avec Odette, une productrice d’une coopérative de café membre de Rwashoscco

L’histoire d’Angélique m’avait touché, comme d’ailleurs son projet ‘Women’s coffee – Angelique’s Finest’ mais je voulais entendre un témoignage à la source, auprès d’une de ces femmes planteuses de café. Il y a trois semaines, j’ai eu la chance de rencontrer Odette dans son village au Rwanda.

Cela s’est avéré être une de ces rencontres qui changent notre perspective sur la vie. Odette m’a reçu dans sa petite maison de terre crue, dans le village de Ruli, perché sur une des mille collines de ce pays extraordinaire. Ce qui m’a frappé c’est l’extrême simplicité, pour ne pas dire le dénuement dans lequel elle vit. Ce n’est pas la misère mais on sent que chaque chose compte et que l’équilibre est fragile. Pour Odette, qui est veuve et a élevé seule ses 4 enfants, le café, cela signifie un revenu supplémentaire qui lui a permis de payer la scolarité de ses enfants, d’assurer quelques frais médicaux et de faire en sorte que le quotidien soit un tout petit peu plus confortable. Quand je lui ai demandé le sentiment que lui donne le fait d’être planteuse de café, m’attendant à une belle histoire sur la fierté ou l’autonomie, elle a rit et m’a répondu que c’est avant tout un sentiment de stress et de responsabilité. En effet, le café c’est beaucoup de travail et une vigilance de tous les instants. Mais la fierté est bien là : celle de pouvoir faire vivre sa famille et d’avoir de l’espoir pour la prochaine génération. La fille d’Odette, Grâce, nous sert d’interprète. Elle parle couramment le français et l’anglais et étudie le droit foncier à l’université. La symbolique est belle entre la dureté et la simplicité de la vie d’Odette et l’espoir pour l’avenir de ses enfants. On peut parler du Fairtrade comme d’un système, citer des chiffres, mais Fairtrade c’est avant tout des histoires, l’histoire de ces familles de producteurs, une histoire de labeur, d’entreprenariat, une histoire d’espoir aussi.

Faire la différence en buvant du café : avec Fairtrade@work, les entreprises s’engagent !

Si certain.e.s décident de prendre sur leurs seules épaules le poids du changement, les consommateurs de café peuvent collectivement multiplier les effets de leurs efforts de manière exponentielle. Et où boit-on le plus de café ? Au boulot ! Les entreprises sont des acteurs clés de changement. Cela vaut pour beaucoup de bonnes causes et certainement pour le commerce équitable. Le café est le premier produit consommé par les entreprises. Quelle différence pourrions-nous créer en Belgique si nous nous mettions tous à boire du café certifié Fairtrade ! De nombreuses organisations se sont mises au Fairtrade. Et le café n’est qu’un premier pas (pas des moindres !). Le programme Fairtrade@work permet de s’engager officiellement et à plusieurs niveaux pour une société plus durable, plus responsable et respectueuse de l’humanité et de l’environnement. Les organisations les plus engagées reçoivent en récompense un « Fairtrade Award » certifiant leur engagement. Découvrez ici les détails du programme.