Sur les routes de la Côte d’Ivoire - à la rencontre des producteurs de cacao

Quand j’ai rejoint Fairtrade il y a près d’un an, je l’ai fait avec l’ambition de contribuer à quelque chose qui avait du sens, qui pouvait avoir un réel impact sur les communautés. Depuis 1 an, je « vends » Fairtrade auprès de divers partenaires potentiels, en me basant sur des récits qui m’ont été fait. Récits reprenant l’impact positif de Fairtrade pour les planteurs de cacao en Afrique de l’ouest ou en Amérique latine. Cependant, il est parfois difficile de raconter quelque chose qu’on n’a pas soi-même expérimenté ou vu de ses propres yeux.Ce voyage en Côte d’Ivoire en juillet 2019 était donc une opportunité en or pour approfondir mes connaissances sur le cacao et rencontrer des coopératives qui vendent leur production aux conditions Fairtrade et voir de mes propres yeux l’impact que cela a sur leur vie au quotidien. En voici le récit.

COOPANEK

Me voilà donc en partance pour Duékoué, dans l’ouest du pays où nous attend la coopérative COOPANEK. Je dis « nous » car j’accompagne Dominique Derom, consultante pour ENABEL et qui va coacher la coopérative.Divers points d’analyse sont abordés.  Ils me permettent de comprendre le fonctionnement de la coopérative ainsi que les ambitions, les défis et les opportunités que les membres du conseil d’administration décèlent dans leur environnement.

La vétusté de leur matériel, l’inaccessibilité de certains villages due à des routes en très mauvais état, l’insécurité, le climat politique instable ainsi que les fluctuations des prix sont quelques-unes des difficultés auxquelles la coopérative doit faire face.  C’est donc avec grand espoir qu’ils accueillent la décision des gouvernements ghanéen et ivoirien de fixer un « living income differential » de 400$ la tonne à partir de la récolte 2020-2021. 

J’entends aussi que , la hausse du prix minimum Fairtrade est aussi très bien accueillie car elle apporte certitude et stabilité. Et la prime Fairtrade est d’une grande importance car ils l’investissent dans des œuvres sociales dont j’ai pu voir l’utilisation dans la pratique.

La COOPANEK reverse, par exemple, 25% de la prime Fairtrade à ses producteurs. Avec cet argent, chacun investit comme il le désire. Foufana Abou, planteur et délégué de la coopérative, a  installé des tôles ondulées sur sa maison, offrant ainsi un toit solide à sa famille. Abou dit qu’il est un planteur heureux : il est rémunéré de manière juste grâce au prix minimum Fairtrade. De plus le fait d’être délégué de la coopérative lui permet d’avoir un bon niveau de vie. Ses 5 enfants vont à l’école et son fils ainé devrait reprendre la plantation après ses études.

Impact et diversification chez COOPANEK

La coopérative a aussi construit des logements pour les directeurs de deux écoles de villages, ainsi que deux logements pour les professeurs. Des kits scolaires ont aussi été distribués (sacs, cahiers, etc). COOPANEK est certifié Fairtrade depuis 2016 et a l’ambition, grâce aux primes Fairtrade à venir, de, entre autres, réaffecter des pompes à eau, financer les certificats de naissance des enfants des membres de la coopérative.

Saviez-vous que sans certificat de naissance, un enfant ne peut pas continuer à aller à l’école au-delà du CM2 (5ème primaire chez nous en Belgique) ? Ce sont donc des démarches administratives qui sont primordiales mais aussi extrêmement coûteuses. Aussi, inscrire son enfant à l’école coûte environ 15€ par an et par enfant. Cela ne représente peut-être pas beaucoup d’argent pour nous, mais pour là-bas, pour les producteurs, c’est un montant difficile à réunir. Surtout qu’il doit être payé début octobre, quand les planteurs n’ont pas encore vendu leur récolte et n’ont donc pas d’argent. La coopérative aimerait pouvoir préfinancer ces inscriptions car ils sont tout à fait conscients que la scolarité est primordiale, même dans les villages les plus reculés.

Les œuvres sociales, la santé et le bien-être de leurs membres sont au centre de leurs préoccupations. Ce sont des communautés qui n’ont pas grand-chose mais qui partagent le peu qu’ils ont. Et c’est quelque chose dont on peut tirer des leçons chez nous.

La diversification est aussi un élément de grande importance dans la vie d’une coopérative. En effet, en ayant plusieurs types de produits qui ont des moments de récolte différents, cela permet d’augmenter les rentrées financières et d’ainsi améliorer leurs conditions de vie. C’est comme ça que la coopérative fait aussi du commerce de café et de l’hévéa. Grande découverte pour moi que l’hévéa! En effectuant des saignées dans l’écorce du tronc d’arbre, on récolte le latex qui sera plus tard transformé en caoutchouc.

Man

Après cette semaine passée à Duékoué, nous sommes parties pour Man. Nous y avons rencontré la coopérative YEYASSO qui a énormément grandi ces deux dernières années, grâce au coaching d’ENABEL. La coopérative a décidé de rajouter un certificat Fairtrade aux autres certificats existants et pourront dès la récolte de 2019-2020 vendre sous conditions Fairtrade. De cette manière, ils pourront assurer un revenu plus stable à leurs membres et bénéficier de primes fixes plus élevées que celles reçues par d’autres certificats. Jusqu’à présent, ils investissaient dans leurs œuvres sociales sur fonds propres. Ce qui est une réelle force. Mais ils veulent en faire toujours plus.  Ici de nouveau, on voit la détermination du conseil d’administration à avoir un réel impact auprès des communautés.

Grâce aux deux coopératives, j’ai pu passer deux journées en brousse à découvrir leurs conditions de travail, de transport et leur vie de tous les jours. Ce sont des gens clairement passionnés par ce qu’ils font et qui, malgré les obstacles auxquels ils doivent faire face, font preuve d’une résilience incroyable. Ils ont de l’ambition pour leur coopérative et savent où ils veulent la mener. Il leur manque les outils, les financements, certaines capacités pour y arriver, mais il en fait pas de doute qu’ils ne manquent pas de motivation ni d’ambition.

Puis j’ai eu la chance de rencontrer Monsieur Doumbia, directeur de la délégation de Man du Conseil Café Cacao. Ce fût une opportunité unique d’échanger avec lui sur les défis que rencontrent les coopératives cacaotières, mais aussi sur les opportunités qui s’offrent à elles. Pour lui, le combat de la quantité est gagné. La prochaine étape est d’améliorer la qualité des fèves de cacao. Le rôle des programmes de certification et l’utilisation des Bonnes Pratiques Agricoles (BAP) sont primordiaux.

Une rencontre fortuite avec Jeannette

Ce voyage m’a aussi permis de faire des rencontres tout à fait fortuites. Celle qui me marquera le plus est Jeannette Badouel. Elle est une des (trop peu nombreuses) femmes maire de Côte d’Ivoire et c’est une femme incroyable ! Ivorienne mariée à un breton et vivant en France, elle  décide en 2013 à rentrer au pays, à la demande de sa communauté. Elle se fait élire maire à 73% des voix, et remplace ainsi un maire en fonction depuis plus de 20 ans. En moins de deux mandats, elle réalise des choses incroyables dans sa ville de Logoualé (Région de Tonpiki), localité de près de 28.000 habitants : construction d’écoles et de latrines, accès à l’électricité pour tous les villages (sauf un), pompes à eaux, … elle  a fait plus en 7 ans que l’ancien maire en plus de 20 ans. Elle accueille aussi des jeunes français en décrochage scolaire pour environ 3 mois afin de les remettre sur pieds et redonner un sens à leur vie.

Elle a aussi été élue Présidente de l’Union des Maires du District des Montagnes et du Bafing et vient de recevoir, en juin 2019, une importante distinction à New York. Elle a reçu le prix West Africa développement (WAD) dans la catégorie femme politique 2019 ayant lutté contre la pauvreté.

Un exemple parfait du changement que peuvent apporter les femmes dans les communautés ! Elle cherche d’ailleurs des villes belges avec qui elle pourrait faire des jumelages afin d’organiser un échange culturel.

 

Bref, ce voyage a été une expérience incroyable, tant sur le plan professionnel que personnel. Se retrouver dans un pays d'Afrique de l’Ouest, se rendre compte des conditions de vie et de travail des communautés et s’imprégner de la culture locale.

C’est une expérience qui chamboule,  force à ouvrir les yeux sur les inégalités de notre monde, et pousse à remettre les choses en perspective. C’est aussi une aventure humaine, même si cela paraît un peu cliché. Tellement de gens rencontrés, tellement d’histoires partagées. Et surtout, il y a de l’espoir. L’espoir que ces gens puissent un jour vivre décemment de leur travail, que ces enfants puissent tous aller à l’école, et que chacun puisse manger à sa faim.