Questions posées à ANGELIQUE KAREKEZI

Femme forte, café corsé : c’est ainsi que nous qualifions l’histoire d’Angélique Karekezi. Elle est responsable de 6 coopératives au Rwanda et a lancé sa marque de café entièrement produit par des femmes. Pour en savoir plus, lisez l’article ci-dessous !

Pouvez-vous brièvement expliquer ce qui vous a poussé à vous impliquer dans la défense des droits des femmes et le renforcement de leur autonomie ? Comment tout cela s’est-il mis en place ?

Mon implication est le résultat de mon expérience personnelle. J’ai grandi dans une société où les femmes ont depuis longtemps été désavantagées par rapport aux hommes. J’ai également été inspirée par mon expérience professionnelle au sein de coopératives de café depuis plus de 15 ans. J’ai réalisé que, si elles en obtiennent les moyens, les femmes ont un potentiel énorme dans la réalisation de la transition socio-économique.

Avec un environnement favorable dans le pays, créé par des politiques et une législation facilitant l’égalité des chances, le processus s'est plutôt bien déroulé. Si par le passé les femmes dépendaient presque entièrement de leur mari et estimaient que la situation ne pouvait pas changer, elles sont aujourd'hui conscientes de leurs droits et croient que le changement est possible. Notons aussi qu’aujourd’hui, un nombre croissant d’hommes soutiennent les efforts visant à autonomiser les femmes.

À propos de votre propre parcours professionnel, avez-vous rencontré des situations où vous ressentiez qu’il vous fallait vous battre davantage que les hommes pour que la reconnaissance de vos droits et de votre travail soit respectée? Comment avez-vous réagi et comment avez-vous géré ces situations ?

Je me suis lancée très jeune dans le commerce du café (immédiatement après la fin de mes études secondaires). J'ai été d’emblée chargée de gérer une coopérative de café comptant plus de 2 000 membres, principalement des hommes. À l'époque, très peu de femmes étaient impliquées dans des fonctions de leadership et je devais donc «me battre» et travailler dur pour prouver que les femmes étaient aussi capables!

En 2014, j'ai été confrontée à une situation plus difficile encore en prenant la direction de Rwashoscco (Rwanda Small Holder Specialty Coffee Company), succédant à trois hommes charismatiques qui la dirigeaient avant moi. Beaucoup attendaient de voir si je réussirais vraiment à gérer une entreprise en pleine croissance. Et, en effet, au début, les membres du conseil d'administration étaient divisés, certains d'entre eux soutenant ma nomination au poste de directrice générale, tandis que d'autres s'y opposaient, arguant que mon expérience n'était pas assez solide pour pouvoir gérer une entreprise comme Rwashoscco.

Cela fait maintenant 5 ans et la société affiche une croissance constante, tout en introduisant de nouveaux produits sur le marché. Cela a clairement convaincu ceux qui pensaient que j'en étais incapable!

En tant que Directrice Générale, il vous faut maîtriser de nombreuses compétences diverses. Quelles sont les plus importantes à vos yeux?

Globalement, en tant que directrice générale, vous devez posséder la plupart des compétences en leadership. Plus précisément, vous devez être capable de gérer des personnes et d’autres ressources. De plus, la gestion des rôles exige beaucoup de dévouement et de l'honnêteté, de manière à mettre davantage l'accent sur les intérêts communs, plutôt que sur les intérêts personnels. Au cours de mon expérience professionnelle, de nombreuses coopératives se sont effondrées du fait que leurs dirigeants accordaient la priorité à leurs intérêts personnels plutôt qu’aux intérêts communs.

Dans mon cas, en tant que directrice générale d’une entreprise où l’innovation et la créativité jouent un rôle fondamental, j’estime qu’il est primordial d’être ouverte d’esprit, c’est-à-dire toujours prête à essayer de nouvelles choses ou à écouter et à envisager de nouvelles idées. Encore une fois, dans mon cas en tant que directrice générale d’une entreprise, j’ai appris que sans compétences psychosociales, on peut difficilement remplir son rôle. En effet, une entreprise gérée par un gestionnaire qui n'a pas les compétences nécessaires pour développer du lien social entre les travailleurs est vouée à l’échec.

En quoi le café est-il un outil spécifique à l’autonomisation des femmes au Rwanda ? En d’autres mots, qu’est-ce qui relie les femmes au café au Rwanda ?

Traditionnellement, la plupart des activités agricoles dans mon pays (et la situation est identique dans de nombreux autres pays en développement) sont le fruit du travail des femmes. Dans la production de café en particulier, ce sont les femmes qui fournissent l'essentiel de la main-d'œuvre dans la chaîne de production et de valorisation (culture, récolte et tri du café). Paradoxalement, le café a traditionnellement été considéré comme la propriété de l’homme. Ce sont les hommes qui bénéficient le plus des revenus du café.

Aujourd’hui, le café s’est révélé être un bon outil d’autonomisation socio-économique des femmes pour deux raisons:

- Socialement : la participation des femmes à la culture et au commerce du café leur donne le sentiment de posséder ce produit qui, autrement, était la propriété exclusive des hommes. En détenant et en dirigeant une entreprise qui était autrefois une affaire d'hommes, les femmes voient dans le slogan «Les femmes peuvent le faire» une réalité qui les ouvre à de nombreux secteurs à prédominance masculine et aux moyens de briser un certain nombre de stéréotypes qui ont longtemps relégué les femmes au second plan!

- Sur le plan économique : le café en tant que culture rapporte des revenus aux femmes impliquées dans l'entreprise, les rendant financièrement indépendantes….

Travailler sur l’égalité des chances et l'autonomisation des femmes consiste à changer le point de vue des femmes mais aussi celui des hommes. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre expérience (de terrain) concernant ce sujet?

Souvent, les hommes ont vu dans l’autonomisation des femmes une «menace». Et les efforts visant à promouvoir l'égalité de genre ne donnent pas grand-chose et sont même voués à l'échec s’ils n'engagent pas également les hommes. Lorsque nous travaillons pour l’autonomisation des femmes, nous devons œuvrer en même temps à changer l’esprit de domination des hommes sur les femmes. C’est ce qui, à mon avis, permet de conduire à une véritable égalité des sexes.

Mon expérience dans le secteur du café m’a appris que faire participer les hommes et les femmes ensemble est le seul moyen sûr d’autonomiser les femmes. Les hommes doivent être impliqués pour pouvoir comprendre à quel point il est important qu’ils appuient la participation des femmes dans les coopératives. Par exemple, une prise de décision partagée est nécessaire pour une utilisation appropriée des processus. Le même soutien est nécessaire pour que les femmes aient accès à des capitaux (ce qui serait impossible sans le consentement et le soutien des hommes) pour créer leur entreprise et soient libres de devenir membres de coopératives.

Pourquoi avez-vous décidé de lancer votre « Angelique’s finest project »?

« Angélique’s finest project » n’est rien d’autre que le fruit de mon ardeur, de mon innovation et de ma créativité à essayer différentes façons de promouvoir l’engagement des femmes dans le secteur du café. J'ai pensé au projet comme une stratégie marketing visant à faire comprendre aux femmes que le fait d'avoir leur propre produit sur le marché leur donnerait l'occasion de faire la différence. Et effectivement, en tant que présidente de l’Association Internationale des Femmes du Café pour le Rwanda (IWCA : International Women Coffee Alliance), ce projet est une manifestation de mon rêve de voir les femmes rwandaises des coopératives de café prendre la tête du commerce du café!

Si j'ai bien compris, environ 200 femmes sont impliquées dans le processus de production de « Angelique’s finest project ». S'occuper de la famille, de la maison tout en prenant soin de soi peut être un obstacle pour que les femmes s'engagent dans une telle activité professionnelle. Qu'est-ce qui encourage les femmes à faire le premier pas vers l'indépendance financière? Quels sont les principaux moteurs du changement?

Comme indiqué plus haut, ce sont les femmes qui ont toujours fourni l'essentiel de la main-d'œuvre dans la chaîne de production et de valorisation de café. Prendre soin de la famille et des tâches ménagères n'a jamais été un obstacle à leur participation à d'autres activités. Elles sont actives dans de nombreuses coopératives et, à nouveau, dans le cadre de politiques et de lois favorables à l’égalité des chances, les femmes prennent de plus en plus conscience de leurs droits et les font valoir. Elles ne sont plus des « domestiques ».

Dans les zones rurales où l'accès aux prêts financiers est difficile, les femmes ont adhéré à la « Village Savings and Loan Association » (VSLA). Le gouvernement a créé des coopératives d'épargne et de crédit (SACCO : Savings and Credit Co-operatives) ainsi qu'un fonds spécial destiné aux femmes. Toutes ces initiatives ont facilité l'accès financier pour les femmes. Nous sommes fières que nos agriculteurs membres aient également réussi à mettre en place un programme d’épargne similaire dans l’une des coopératives qui produit « Angelica's Finest ». En résumé, les opportunités commerciales, l’appui des gouvernements et les efforts visant à promouvoir l’égalité des chances sont les principaux moteurs du changement.

Parlez-nous un peu plus de votre délicieux café. Quelles sont les principales caractéristiques et qualités de celui-ci?

  • Outre le fait que des femmes détiennent 100% de sa production et que son process soit lui aussi principalement féminin, les qualités les plus remarquables du café « Angélique’s finest » comprennent:
  • le fait que le café provienne d’une variété exceptionnelle, l'Arabica rouge Bourbon;
  • Il est entièrement lavé, traité séparément des autres productions via des stations de lavage du café
  • Il est cultivé à une altitude bonne et favorable pour un café de haute qualité (entre 1800 et 2200 m)

Comment Fairtrade contribue-t-il au succès de votre projet et au progrès de l’autonomisation des femmes (rurales) au Rwanda?

En certifiant « Angelique’s finest », Fairtrade a grandement contribué à sa commercialisation. De plus, avec la certification, la prime Fairtrade a considérablement augmenté, ce qui permettra à la coopérative d’intensifier ses activités visant le développement de la communauté en général et de ses membres en particulier. Par exemple, avec la prime Fairtrade, la coopérative est sur le point de commencer la mise en œuvre d'un projet de construction d'une maison qui servira en même temps d'atelier et de bureau pour les activités des femmes.